De faux sites d’infos régionales

De faux sites d’infos régionales, enquête sur une guerre numérique

Enquête de Sébastien Colin et Christophe Gobin
Journal L’Alsace du 26/11/2025

De nombreux faux sites d’informations régionales apparaissent à quelques mois des élections municipales.

Des centaines de faux sites d’information générés par l’intelligence artificielle ont surgi sur Internet, soupçonnés d’être des outils d’ingérence russe avec, en point de mire, les prochaines élections municipales en mars 2026. Nous sommes partis sur leurs traces à Strasbourg, Épinal, Nancy, Metz ou Dijon, où certains revendiquent avoir leur siège social.

Ils s’intitulent Vosges-enligne, Flash Bourgogne-Franche-Comté, Actualités Maintenant, Écho Rhône-Alpes… À l’approche des élections municipales de 2026, de prétendus sites d’information tentent une percée spectaculaire sur la toile en s’installant cette fois dans toutes les régions, avec – pour certains – des plateformes à l’apparence locale. C’est ce que révèle le rapport d’un groupe de recherche américain sur la cybersécurité, Insikt, qui dénombre l’existence de 141 nouveaux faux sites d’infos français créés entre janvier et juin 2025.

Parmi eux, deux sites prétendument basés dans les Vosges ont tout particulièrement retenu notre attention : vosges-enligne.fr et franceavanttout.fr. Deux sites simples d’accès qui reprennent, c’est à s’y méprendre au premier regard, les codes visuels et éditoriaux de la presse régionale.

Mais quand on s’y attarde un peu, on s’aperçoit rapidement que tout est faux. À commencer par ces articles entièrement générés par l’intelligence artificielle (IA). Nous en avons soumis certains à des sites détecteurs d’IA, un test qui a confirmé qu’aucun journaliste n’était derrière ces contenus.

Les faux articles diffusés dans les Vosges ou ailleurs suivent toujours le même schéma : faits divers exagérés, rumeurs sur des agressions, mises en scène de tensions inexistantes, fausses alertes d’insécurité, accusations contre l’État ou les institutions… Chaque sujet, souvent lié à la vie quotidienne – services publics fragiles, difficultés médicales, inquiétudes économiques –, devient une opportunité de semer le doute et la colère.

Tout est calibré pour provoquer une réaction émotionnelle : indignation, peur, méfiance, rejet. Ces sites exploitent les peurs, amplifient les frustrations et caricaturent la réalité pour servir des objectifs politiques qui n’ont rien à voir avec le quotidien. Des experts les soupçonnent d’être des chevaux de Troie de puissances étrangères désireuses de déstabiliser nos démocraties, ou encore de diffuser des fake news dans le but de discréditer le régime ukrainien.

Autre fait suspect observé, les mentions légales, droits réservés que l’on peut observer tout en bas de la page d’accueil. Prenons l’exemple de vosges-enligne.fr. Comme pour toute autre entreprise, il est fait mention de l’éditeur du site, d’un numéro de Siret, de l’hébergeur, de l’adresse du siège social ou même des noms des directeurs de publication ou du rédacteur en chef.

Pourtant, derrière l’illusion, aucune rédaction identifiée, aucune adresse, aucun journaliste. Impossible également de trouver une inscription au registre du commerce pourtant nécessaire à toute activité. Tout n’est qu’illusion et relève du virtuel.

Pour nous rendre compte de visu de l’entourloupe, nous nous sommes rendus à Épinal aux adresses qui serviraient de siège social aux sites « vosgiens » visés par notre enquête, en l’occurrence au 3, rue Galtier pour le premier nommé et au 12, rue d’Olima pour le second.

Sur place, rien à signaler, aucune trace d’une quelconque existence. Certes, les deux lieux (le premier, actuellement fermé, est en vente) sont réservés à du coworking ou à de l’hébergement d’entreprises. Mais aucune référence, ni boîtes aux lettres dédiées aux deux fameux sites et aux sociétés qui les chapeauteraient.

Contactée par téléphone, une des deux propriétaires, Cécile Giraud, en reste pantoise : « Ils ne manquent tout de même pas d’air. Je n’en ai jamais entendu parler de ce site, ni jamais eu de contact avec la moindre personne à ce sujet. »

Nous avons également tenté de joindre les dirigeants et prétendus rédacteurs en chef à plusieurs reprises, via leur adresse mail ou les numéros indiqués sur le site. Sans plus de succès.

Vérifications faites, d’autres faux sites d’infos affichent en ligne des domiciliations fictives dans des espaces de coworking ou des bureaux partagés situés à Metz (Actualités Maintenant), Strasbourg (Éclair Info, Analyse Actus), Dijon (Flash Bourgogne-Franche-Comté, Miroir de la France), Lyon (Écho Rhône-Alpes) où leur présence est purement virtuelle. C’est le cas aussi à Nancy, où nous nous sommes rendus aux adresses supposées des sièges sociaux de trois sites. Aucune trace sur place d’un quelconque site d’info…

Le 21 novembre, alors que notre enquête touchait à sa fin, quelques-uns des 141 faux sites d’infos pointés par les chercheurs d’Insikt ont été mystérieusement désactivés et n’étaient plus accessibles… C’était le cas par exemple de Vosges-enligne-fr et d’Actudirecte.fr.

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